Abonnés

Champions Cup - Technique. C’est quoi, le jeu debout "à la Toulousaine" (2/2) ? "Le porteur est responsable du ballon, et les soutiens le sont de la continuité du jeu", explique Romain Ntamack

Par Jérémy Fadat et Nicolas Zanardi
Publié le Mis à jour
Partager :

Biberonné depuis ses plus jeunes années au jeu toulousain, fils d’une légende stadiste, nul n’était mieux placé que lui pour évoquer les spécificités de la culture du jeu de son club, étroitement liée à une certaine vision de l’entraînement visant à faire reproduire le plus souvent possible ces situations de jeu, et huiler ce "jeu debout" qui fait sa force.
 

Probablement plus que les autres équipes, le Stade toulousain a intégré dans sa culture du jeu l’organisation d’un soutien «en étoile» ou «en diamant» dans les situations de jeu désordonnées, avec un joueur plein axe et un autre de chaque côté. N’est-ce pas finalement là la véritable marque de fabrique culturelle du club?

C’est vrai que, depuis tout petit, j’ai l’habitude de pratiquer ce jeu-là. On me l’a toujours enseigné à l’école de rugby et, encore aujourd’hui au niveau professionnel, c’est ce qu’on apprend et ce qu’on travaille tous les jours aux entraînements. Je ne sais pas si on le fait mieux que les autres, mais je peux vous dire qu’on le bosse toujours au quotidien. Parce que, lorsque la situation se présente en match, il faut être vite placé au bon endroit, pour qu’il y ait constamment des soutiens. L’idée maîtresse, c’est d’avoir toujours la possibilité de faire vivre le ballon. En gros, on pourrait presque dire que le but est de se trouver les yeux fermés, à partir du moment où les mecs sont positionnés comme il le faut. Mais c’est en le répétant aux entraînements qu’on parvient à le reproduire en match.

Capture 1.
Capture 1.

Voir capture 1

Nouvelle situation, après un ruck ralenti cette fois : alors que le bloc d’avants toulousains (cercles noirs) se replace dans le sens, Antoine Dupont choisit d’inverser subitement le sens du jeu, sur un appel de Paul Costes. Parce que celui-ci a aperçu un intervalle (flèche rouge) et souhaite profiter de l’attention portée par les défenseurs anglais sur Dupont, qui ne surveillent que lui (flèches jaunes)…

Capture 2.
Capture 2.

Voir capture 2

L’initiative de Costes lui permet de gagner la ligne d’avantage, mais il est esseulé. Celui-ci a alors le réflexe de chercher du soutien dans l’axe profond (flèches rouges), où se projette Dupont selon le principe du "dernier passeur, premier soutien". Même s’il doit d’abord pour cela se gagner son "duel sans ballon" face au défenseur qui le retient par le maillot (cercle vert), en vertu d’un probable "plan anti-Dupont" .

Capture 3.
Capture 3.

Voir capture 3

Au sol, Costes parvient à servir Dupont (cercle rouge), isolé au milieu de plusieurs défenseurs. C’est alors que le jeu toulousain, se met en place, avec comme souvent François Cros (flèche noire) qui se projette en premier soutien tandis qu’en tête de ruck, Willis et Arnold (cercle noir) ont déjà levé la tête pour savoir où se rendre disponibles.

Capture 4.
Capture 4.

Voir capture 4

C’est à ce moment précis que la "culture toulousaine" s’exprime le mieux. Résistant à la tentation d’avancer le plus loin possible, Dupont utilise un crochet intérieur (flèche rouge) qui lui permet de retarder le contact et de laisser le temps au premier soutien (flèche noire) le temps d’arriver. À noter que Costes (cercle vert) a déjà fait l’effort de se relever pour se rendre disponible.

Capture 5.
Capture 5.

Voir capture 5

Avant d’être plaqué, Dupont (cercle rouge) a ainsi le temps d’assurer la continuité du mouvement debout avec Cros (cercle noir), qui bénéficie du soutien proche de Roumat pour continuer à gagner quelques mètres précieux pour prolonger la dynamique, et assurer la conservation. Remarquez ici que, voyant Dupont au sol, c’est Willis (au déblayage sur le temps de jeu précédant) qui se présente en position de relayeur, dans une parfaite polyvalence des rôles.

Capture 6.
Capture 6.

Voir capture 6

Même dans un style peu académique, Willis (cercle blanc) extrait le ballon du ruck pour Arnold, qui était lui aussi au déblayage sur le temps de jeu précédent. L’extrême disponibilité des avants toulousains offrant à Dupont (déjà relevé lui aussi !) le temps de "scanner" le jeu (flèche rouge) , en prévision du temps de jeu suivant…

L’expression qui a marqué mon souvenir, c’est "jouer debout"

Avez-vous le souvenir d’avoir travaillé cette redistribution depuis votre plus jeune âge ?

Bien sûr. Et c’est l’avantage justement de le bosser depuis très longtemps, puis d’avoir ici beaucoup de joueurs issus de la formation, qui ont l’habitude de travailler ainsi depuis l’âge de 10 ou 15 ans. À force de répéter ces situations, savoir s’y adapter est devenu naturel pour nous. Plus que soutien "en étoile" ou "en diamant", l’expression qui a marqué mon souvenir, c’est "jouer debout". Je me rappelle des éducateurs qui répétaient ça sans cesse au milieu du terrain: "jouez debout, jouez debout, un soutien dans l’axe et sur les côtés." Ce jeu-là, je me le suis approprié depuis tout petit.

Sur votre essai contre Exeter, vous avez effectué une «duponade» avec une course de soutien devant le porteur du ballon (lire ci-dessous). Antoine Dupont, qui a apporté cette nouveauté dans le jeu depuis des années, a-t-il été une source d’inspiration ?

Ce genre de course, j’essaie de les faire quand je ne suis pas plaqué ou tamponné juste après avoir fait la passe (sourire). Sur cette séquence en particulier, j’étais disponible et j’avais un peu de temps. J’ai pisté qu’il y avait un décalage et potentiellement Matthis (Lebel, N.D.L.R.) qui pouvait déborder. Donc j’ai essayé d’anticiper mais c’est dur de le faire sur toutes les actions. Antoine y arrive parce qu’il a les qualités physiques et tactiques pour. Il sent le jeu et, en tant que numéro 9, il va vite au soutien. Si ça ne marque pas derrière, il doit être le premier à éjecter le ballon. C’est davantage spécifique pour son poste mais, quand je parviens à anticiper les choses, je peux aussi m’y mettre. Je ne suis pas le seul d’ailleurs. Aux entraînements, plusieurs mecs y arrivent. Bon, sur cet essai, j’ai un peu chambré Antoine quand même !

Image A.
Image A.

Voir image A.

Ce plan large se situe dans l'action décryptée ci-dessus. Face à la défense anglaise resserée (trait bleu) par le bon travail dans l'axe des Toulousains, un surnombre se dessine au large avec quatre joueurs (cercles noirs) que Romain Ntamack sert logiquement. Pendant ce temps, comme on l'a vu, Dupont (cercle rouge) avait déjà tout analysé de la situation... 

Image B.
Image B.

Voir image B

Kinghorn ayant fixé l'avant-dernier défenseur anglais (cercle bleu) l'espace est libre au large pour Ahki et Lebel (flèches noires) face à l'arrière anglais (flèche blanche). Et pendant ce temps, la charnière Dupont - Ntamack (flèches rouges) s'est déjà projetée vers l'avant, quitte à anticiper leur course de soutien en avance par rapport au ballon, à leurs partenaires, et surtout à la défense... 

Image C.
Image C.

Voir image C

Ahki (cercle noir) joue à la perfection son deux contre un sur l'arrière anglais pour Lebel. Et pendant ce temps-là, confiants en leurs partenaires, Dupont et Ntamack ont déjà battu toute la défense anglaise en se projetant dans son dos. Ne reste plus qu'à porter l'estocade...

Image D.
Image D.

Voir image D

L'accélération de Lebel (cercle noir) lui a permis de remettre tous ses partenaires en jeu. Dupont et Ntamack sont ainsi présents à son intérieur, avec Paul Costes qui a fait l'effort d'arriver dans l'axe pour compléter la structure "en diamant". Laquelle aurait pu permettre aux Stadistes de prolonger le mouvement, encore et encore, si d'aventure d'autres défenseurs leur avaient fait face... 

Pour quelle raison ?

Parce que, si ce n’était pas moi qui y étais, c’est lui qui allait marquer ! On en rigole aussi, quand ça arrive à d’autres. Je crois vraiment qu’Antoine nous a apporté ça. Aaron Smith le faisait très souvent également avec les All Blacks et les Highlanders, et il a marqué un nombre incalculable d’essais ainsi. Cela nous inspire tous, mais ce n’est pas évident, car cela demande beaucoup d’énergie. Ce sont des choses qui se font à l’instinct, sans trop réfléchir.

La culture de jeu toulousaine, c’est aussi ce mantra : "Le porteur est responsable du ballon, les soutiens sont responsables du porteur." Comment cela se traduit-il dans les faits ? Après franchissement, la priorité revient-elle au porteur, auquel les soutiens doivent se débrouiller pour apporter une solution, ou relève-t-il davantage au joueur qui a franchi de ne pas s’isoler et "d’attendre" ses partenaires ?

C’est un peu des deux. Le porteur, lorsqu’il franchit, a fait le plus dur du travail. Mais, s’il balance le ballon n’importe où derrière, cela ne sert à rien… Vraiment, au niveau des responsabilités, c’est du 50-50. On en revient exactement à ce que l’on travaille à l’entraînement: le porteur peut franchir. Ensuite, s’il est en capacité d’aller marquer, il doit le faire. Sinon, il doit attendre les soutiens s’ils sont un peu en retard. Mais ces derniers doivent absolument faire l’effort de venir au plus près de lui. Voilà pourquoi, dans la semaine, on a des séances d’entraînement très intensives, où on court beaucoup et où il y a forcément de nombreux franchissements. Ce n’est pas quelque chose d’inné au départ, mais on doit vivre ces situations en semaine pour mieux les maîtriser le week-end. En clair, le porteur est responsable du ballon mais les soutiens sont responsables de la continuité du jeu. Chacun ses responsabilités.

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?

Les commentaires (5)
Djive-ST Il y a 12 jours Le 05/05/2024 à 17:59

@loupVert il s'agit de rugby et pas de langue Robert Bru a conceptualisé et Pierre Villepreux a formalisé les tactiques et les stratégies Mais cela a été reconfiguré par Griffothsiet GreenWood - Cela permet de visualiser les plans de jeu et comprendre les placements et déplacements - Mais il faut souligner que ces articles de « fond » disséqué bien la philosophie toulousaine

bleuetrouge Il y a 13 jours Le 04/05/2024 à 10:13

ça on l'apprend partout ! après pour les enchainements il faut prendre le temps de le bosser , si possible le plus tot , au début accepter les déchets et ensuite avoir des joueurs capables de le faire sous la houlette d'un coach éduqué à ce Jeu ! il est evident qu'on l'apprend partout mais à part le ST peu le pratique durablement !

Djive-ST Il y a 13 jours Le 04/05/2024 à 09:18

Rugby: Techniques, tactiques, stratégies" de John Griffiths - Ce livre est assez complet et couvre les aspects techniques, tactiques et stratégiques du rugby - Total Rugby: Fifteen-a-side Rugby for Coach and Player" de Jim Greenwood

LoupVert Il y a 13 jours Le 04/05/2024 à 11:16

Si c'est pour nous dire que tu maîtrises l'anglais fais le directement... Ça tombe bien "melon" ça se dit de la même façon dans les deux langues...